Tod et Rosalie autour d'une glace

 - Bonjour monsieur. Vous allez bien ? Je peux vous aider ?

L'inconnu m'assura naturellement qu'il allait bien. Quoi de plus naturel face à quelqu'un qui n'est pas proche de soi. Il ne pouvait pas me confier sa faiblesse. Il ne me faisait sans doute pas confiance. Du moins, il ne pouvait me partager son fardeau. Pourtant l'homme à la voix éteinte avait besoin d'aide. Avant que j'eusse agi, il quitta la glacerie. Je restais un instant immobile, stupéfaite. J'hésitais à le poursuivre pour lui éviter une chute douloureuse sur le sol. Trop tard. L'homme avait disparu de mon champ de vu. Je soupirais et me rassis à la table. Le serveur arriva, ma glace avec une pointe de whisky pur feu sur le bras. Mon visage s'anima de nouveau, quittant son air consterné. La fraîcheur du plat m'attirait déjà. Je n'eus une nouvelle fois pas le temps de penser.

Le jeune homme revint, l'air décrépi. D'où venait il ? Je l'ignorais. Je me garderais bien de lui poser la question. Pourquoi était il revenu en ces lieux ? Le mystère était plus grand encore. Je n'avais qu'une seule envie : l'aider. Oubliant ma timidité naturelle et le respect des conventions sociales face aux inconnus, je m'approchai de lui et plaçai ma main autour de son buste. Mon bras enroulant son dos, je ne lui laissais plus vraiment le choix.

- Venez vous asseoir à ma table, je vous en prie.

Mon Dieu, que fais-je ? Je soutiens un parfait inconnu par derrière, m'autorisant des gestes amicaux. Voyons Rosalie, son état de faiblesse justifie ce rapprochement. Tu as bien fait, regarde il défaille presque. Mes pensées se mélangeaient ainsi dans ma tête, tandis que j'accompagnais l'homme jusqu'à ma table. Une fois assis, je lui laissai un peu plus de liberté de mouvement pour s'asseoir, je me présentais.

- Rosalie Brighton. Et vous ?

Lui souriant aimablement, j'espérais qu'être assis le soulageait. Je pris une nouvelle fois les devants en faisant un signe au serveur.

- Prendriez-vous quelque chose ? Un verre d'eau ?

L'eau était le meilleur remède pour lui me semblait il. Ne sachant pas vraiment ses goûts, je craignais en commandant une glace ou une boisson de le décevoir. Avec l'eau, je ne risquais rien.

Le jeune homme accepta l'eau. Je poussai un soupir de soulagement discret. J'avais craint que le garçon fût entêté et refusât tout aide. Heureusement, il avait facilement baissé ses protections. Il but l'eau et sembla reprendre quelque couleurs. Il déclina enfin son identité. Tod Bellasaim, m'efforçais-je de retenir. Sans me prévenir, le jeune homme avoua une mort proche. Comment ?! Il venait réellement de se précipiter au cimetière ? Comme il avait été rapide, songeais-je. Oh mais je comprends mieux son état de faiblesse maintenant. Sa petite sœur en plus... que faire ?

J'ignorais s'il voulait en parler, ou au contraire évoquer autre chose, ou même rester en silence. Je ne le connaissais point et n'avais guère l'habitude de telles révélations. Je craignais d'accroître sa douleur en relativisant la mort de sa sœur ou en disant qu'elle était au ciel désormais.

- Quel âge avait-elle ?

C'était décidé. Parler de sa petite sœur aiderait peut être à cicatriser.

Seize ans. Si jeune. Elle avait toute la vie devant elle. À cet âge-là je n'avais pas encore fini ma scolarité à Poudlard. Je n'avais pas étudié le vol. Je n'avais pas enseigné. Je n'avais pas été directrice. Je ne connaissais ni Kate ni Annaelle, ni Leï. Je n'avais pas encore songé à réunir diverses écoles. Qu'avais je découvert alors ? Le langage, la musique. J'avais appris à marcher, à vivre. Finalement j'avais acquis la majorité de mes compétences magiques, bien que je n'avais pas vraiment pu les mettre en pratique.

Cet homme avait perdu sa sœur. Son regard laissait penser que la perte datait à présent. Mais le vide n'avait jamais été comblé. L'homme souffrait toujours. Pauvre Tod. Je ne savais que faire. J'étais démunie du haut de mes vingt huit ans. La vie ne m'avait pas appris à souffrir un deuil, ni à accompagner un souffrant. Je ne pouvais qu'envoyer ma compassion à cet homme. Il se retourna brusquement et ajouta que je devais le prendre pour un paranoïaque.

- Certainement pas ! C'est tout naturel de se retourner au son d'un bruit suspect. Tenez moi par exemple, en sentant votre regard posé un peu trop longuement sur ma personne, je me suis tournée vers vous.

Parler soulageait. Cela dédramatisait la situation et permettait de converser ordinairement. Une vague d'apaisement m'envahit ; je poursuivis.

- D'ailleurs si je peux vous être d'une quelconque utilité, n'hésitez pas.

L'homme continua à parler. J'écoutais attentivement, réellement. Mon attention était le seul cadeau que je pouvais lui offrir. Je n'avais rien d'autre. Son histoire était inhumaine. Une mère avait assassinée sa propre fille de seize ans suite à une dispute, sous les yeux de son frère aîné. C'était horrible. Je n'avais pas de mot pour décrire l'absurdité de la situation. Seules les larmes de Tod semblaient traduire correctement l'émotion sentie. Je crois qu'une larme s'échappa aussi de mon œil. Que m'arrivait il ? Son histoire me saisissait au plus profond de mon être. Prise d'une véritable empathie, je posais ma main droite sur son bras gauche sur lequel reposait désormais sa tête. Je voulais apaiser cet homme, mais n'avais aucune parole à lui transmettre. Les mots ne venaient pas. Impuissante, je le fixai simplement de mes grands yeux. Il n'y avait rien à dire.

Le pire ou le meilleur fut révélé : les derniers mots de l'infante. Quelle pureté ! Elle avait songé au bonheur de son frère, en lui rappelant qu'elle resterait en son cœur pour le protéger.

- Comment s'appelle-t-elle ?

J'employais le présent, car sa sœur restait présente dans son cœur. Sans doute aussi l'observait elle de là-haut. Un flash se fit entendre. Maudits journalistes. Une photographe venait d'immortaliser les larmes du Français. Je retirai vivement ma main en entendant le son bref. Je séchai mon unique larme d'une main rageuse et me tournai vers la journaliste avec courtoisie. La colère était rare dans mon caractère et je décidais de choisir la diplomatie.

- Bonjour madame. Auriez-vous l'amabilité de supprimer la photo s'il vous plaît ? Cet homme est Français. Sa vie n'intéressera probablement personne ici. Laissez-le tranquille. Il n'a guère besoin d'une divulgation de ses soucis. Auriez-vous aimé paraître dans la gazette après le deuil d'un proche ?

Tod ne m'avait pas révélé sa nationalité mais son accent le trahissait. Ma dernière phrase touchait directement le cœur de la journaliste. J'espérais qu'elle eût suffisamment de bon sens pour comprendre la douleur engendrée par la mort.

Tod avait plus de caractère qu'il ne l'avait jusque là laissé transparaître. Devinant que la journaliste n'avait pas détruit la photo, il la rabroua férocement et détruisit non seulement la photographie mais aussi son appareil tout entier. J'assistais à la scène violente immobile. Tod perdit connaissance. Son action l'avait épuisé. Je m'adressais à la journaliste d'une voix courtoise, tout en l'attaquant verbalement. Je l'incitais à partir.

- J'imagine que vous êtes fière de vous. Ne vous avais-je pas prévenu ? Fallait-il encore que vous fassiez la maline ? Sortez d'ici maintenant.

La journaliste n'était pas une enfant. Si une once de bon sens l'habitait, elle déguerpirait. Je n'avais pas besoin d'ajouter que je ne me répéterai pas. Peut-être aussi m'avait elle identifiée comme l'ancienne directrice du château. Poudlard était une célèbre école de sorcellerie et je l'avais dirigé pendant trois belles années. La plus jeune directrice depuis plusieurs siècles. Ma nomination n'était pas passée inaperçue. Aussi ma puissance magique effraya peut être la journaliste. Malgré le "Et l'appareil ?" de son collègue, elle partit, sans un mot.

Je me tournai alors vers Tod. Je savais que faire. Je n'étais guère douée pour consoler, mais je pouvais m'occuper d'une personne inconsciente. Je rangeai ma glace dans mon sac, en veillant à ce qu'elle reste droite. Puis, je payai le glacier. Enfin, je soulevai le corps d'un coup de baguette.

Le malade était désormais allongé sur un lit. S'il connaissait le chaudron baveur comme sa poche, peut-être identifierait-il les lieux à son réveil. La fidèle auberge accueillait toujours les sorciers désireux de se reposer. Le barman m'avait laissée entrer sans poser trop de questions. Il savait que je paierai la chambre, c'était le principal. En attendant le réveil du blessé je dégustais ma glace tant attendue, assise sur une chaise à bascule dans un coin de la pièce.

Je savourai ma glace. Celle-ci était délicieuse, dommage que je la mangeassent si tardivement. L'heure du déjeuner était passé depuis longtemps. Disons que cela est le goûter, convint-je mentalement, moi qui détestait manger entre les repas. J'avais fini ma glace depuis longtemps quand le Français se réveilla. La lune s'était levée, le chemin de Traverse vidé, mais le pub restait toujours aussi rempli. Les hommes buvaient au rez-de-chaussée et riaient beaucoup. Ce fond sonore me déplaisait. Je trouvais la chambre trop sonore. Le jeune homme dormait toujours. Pouvais-je le laisser là ? Je ne savais pas trop. Je ne le connaissais pas. S'il était conscient à son réveil, il n'aurait nullement besoin d'aide, mais s'il était perdu, il serait bien content d'avoir une autre aide que le barman occupé. Aussi décidai-je de rester. Je n'avais aucune obligation après tout.

Tod se réveilla. Je le sus dès qu'il posa son regard sur moi. J'avais la faculté de détecter toute observation semblait-il. Cette prise de conscience m'amusait moi-même. Je m'étais habituée avec le temps. Je relevais les yeux de mon manuel de métamorphose. J'avais voulu approfondir mes connaissances dans le domaine. Le regard du jeune adulte me troubla. Que faisais-je ici ? J'aurais dû le laisser seul. Il est parfaitement conscient. Tod me remercia. Si mon cœur fut troublé, mon habitude des convenances que donnait froidement un poste de directrice me permit de répondre sans bégayer.

- Ce n'est rien. Je vous en prie.

Un corbeau traversa la pièce pour se poser au chevet du malade relevé. Celui-ci le connaissait. Je trouvais l'oiseau étrange. Il était peu domestiqué en Grande Bretagne. Je ne fis aucun commentaire, attendant patiemment que mon rôle à jouer me fût révélé. Tod ne tarda pas à expliqué la missive. Il devait rentrer, car son "cher et tendre" l'attendait. Avant que je pusse ajouter un mot, Tod précisa qu'il était trop faible pour le rejoindre. Comment cela trop faible ? Il était sorcier ! Il n'avait reçu aucun sortilège maléfique en plus.

- Êtes-vous certain que vous ne pouvez transplaner ? Empruntez alors le réseau de cheminette en achetant un peu de poudre sur le chemin de Traverse.

Je le jaugeais sans pouvoir réellement vérifier son état de santé à cause de l'obscurité. Puis je m'avançai vers lui, baguette sortie.

- Vous permettez ? Revigor.

Le sortilège lui donnerait l'énergie nécessaire pour rentrer chez lui. Je ne le recroiserais sans doute jamais. Curieuse pensée.

Tod me remercia une nouvelle fois dans un doux sourire. Le corbeau revint soudainement, un serpent dans le bec. Belle proie pensais-je. Mais cette dernière ne semblait pas au goût du garçon, ni de celui du nouvel arrivant.

Un flash, des cris précipités, une colère noire, le retour des deux journalistes, l'apparition d'un second Français, les hommes de presses décampant. Je ne comprenais pas la situation. Comment le photographe et la rédactrice étaient ils arrivés ? Le serpent s'était il métamorphosé ? Comment avaient-ils retrouvé la trace de Tod ? Ils m'avaient peut être suivi en quittant le glacier. Mais pourquoi ne pas être intervenus plus tôt alors ? Enfin, pourquoi un tel acharnement sur monsieur Bellasaim ?

L'inconnu, ami de Tod probablement qui nous avaient défendu face aux journalistes s'était aussi présenté à l'occasion. Une fois le combat passé, je lui tendis la main.

- Rosalie Brighton, enchantée, même si vous semblez déjà me connaître. Et vous ?

Je ne savais pas qui il était. Il avait dit qu'il était le fiancé de Tod. Le mariage homosexuel était-il autorisé en France à cette époque-là ? Qu'importe au fond. Les relations pouvaient exister hors mariage. Ce dernier étant nécessaire principalement pour fonder une famille. Le "cher et tendre" de Tod avait également décliné mon identité aux intrus. Où l'avait-il apprise ? Dans la missive de Tod sans doute. Rosalie parla alors d'une voix calme, posée mais déterminée à ses deux interlocuteurs.

- Je crois que vous me devez des explications. Pourquoi les journalistes vous harcèlent-ils ?

L'inconnu et ami de Tod se présenta enfin d'un ton presque hautain sous le nom de Rudolf Castle. Ce nom n'avait guère une consonance française. Monsieur château, rien que cela ironisais-je dans mon esprit. Il précisa qu'il était de sang pur, issu d'une famille noble. Son ton m'exaspérait. Heureusement avoir été directrice m'aidait une fois de plus à dissimuler mes sentiments pour afficher un sourire poli, presque courtois en réalité. Je me moquais bien de la pureté du sang de ce Rudolf. Seuls les actes comptaient à mes yeux. J'étais une sang-mêlée, cela sans doute avait déterminé mon point de vue. Je savais cependant que la nature du sang comptait beaucoup pour les sangs purs. Ceux-ci en étaient très fiers. Quand à la noblesse, je n'en disposais pas. J'étais une femme simple, issue d'une famille simple, pas modeste mais sans superflue. J'avais été éduquée soigneusement et mon enfance dans le monde moldu m'était utile. Ainsi je connaissais les deux mondes. Je remerciais mes parents pour ce cadeau. Même si depuis mes onze ans je passais la plupart de mon temps dans le monde magique, je connaissais le monde des moldus. Mon père étant toujours plus à l'aise chez lui, je devais vivre sans magie à chacune de mes visites chez lui.

Le dénommé Rudolf continua, un serpent glissant sur lui. Il serra son compagnon Tod et donna des explications fort confuses. Six mois plus tôt, Rudolf avait "suivi" son fiancé pour connaître la nature de ses maux. Pourquoi ne l'accompagnait-il pas au quotidien si c'était réellement son "fiancé" ? Je ne comprenais pas tout. Rudolf avait alors découvert les deux journalistes profanant la tombe de la petite sœur de son ami. Quel droit autorisait les hommes à fouiller une tombe ? Cela était invraisemblable. Je ne voyais pas quelles raisons pouvaient pousser deux êtres à violer la paix accordée aux morts. Un mystère se dissimulait dessous. Plus les inconnus parlaient, plus le mystère s'obscurcissait. Loin de m'éclairer, ils accroissaient ma curiosité. J'écoutais attentivement la suite, ma baguette n'avait pas été rangée, soit par négligence, instinct ou volonté. La fin était plus absurde encore. Les journalistes, ne voulant guère être dénoncés les poursuivaient. Ils devraient se tenir à carreau, pensais-je.

- Pourquoi ne le dénoncez-vous pas ? A moins que vous ne cachiez un plus grand secret ...

Je n'arrivais pas à tisser des liens entre les paroles. Si la presse était en tord, que les deux hommes étaient dans leur droit, ils devaient la dénoncer. S'ils ne le faisaient pas, cela signifiaient qu'ils avaient plus d'avantages à ce que la situation restât secrète, ou bien qu'ils étaient ignorants ou stupides. Je me méfiais des deux individus, tout en me maudissant d'avoir choisi d'enseigner le vol. J'étais mieux sur un balai qu'en duels sorciers !